La métaphore du rope-a-dope

C’est le 30 octobre 1974 qu’a eu lieu le Rumble in the Jungle, un mythique combat de boxe organisé au Zaïre mettant aux prises les poids lourds George Foreman et Muhammad Ali. Presque 40 ans plus tard, plusieurs journalistes sportifs décrivent encore ce duel comme étant possiblement le plus grand évènement sportif du 20e siècle. 

Le combat prévu pour 15 rondes de trois minutes a lieu au Zaïre puisque le président et tyran du pays, Mobutu Sese Seko, accepte de débourser 10 millions de dollars, une somme absolument colossale à l’époque, particulièrement pour un pays africain, afin que le combat ait lieu sur ses terres, désireux de profiter d’autant de visibilité. 

Dans la presse sportive, on prévoit une défaite cinglante d’Ali. On dit de lui qu’il est sur la pente descendante à 32 ans tandis qu’on louange, à raison, le jeune Foreman et sa puissance phénoménale. Foreman a remporté l’or olympique en 1968 (tout comme Ali, huit ans plus tôt) et est au sommet de son art pugilistique à l’aube du choc.

Malgré qu’il soit le négligé des parieurs par 7 pour 1, la population du Zaïre n’en a que pour Muhammad Ali. Connu dans le monde pour ses positions engagées, le boxeur banni pendant trois ans pour avoir refusé de servir au Vietnam rallie les foules. Militant articulé et extrêmement charismatique, Ali s’est à maintes reprises élevé contre la ségrégation raciale et cela fait de lui un héros qui transcende complètement son sport, particulièrement en sol africain.

Mais toutes les bonnes intentions de ces partisans ne peuvent rien changer à l’implacable réalité : George Foreman est supérieur à Ali. Il est plus rapide, bien plus puissant et possède une condition physique hallucinante. Hormis un jeu de pieds supérieur et une expérience un brin supérieure, la liste des avantages d’Ali est courte. Après chacun de ses entraînements, on dit que le punching bag de Foreman était complètement déformé. Après avoir martelé le cuir de son immense paluche droite pendant près de quinze minutes, le sac de Foreman, pourtant le plus ferme disponible à l’époque, était monstrueusement renfoncé.

Dans les minutes qui précèdent le combat, il règne une ambiance funeste dans le vestiaire d’Ali. Son entourage, terrassé, a littéralement l’impression d’envoyer son poulain à l’abattoir. Cela n’empêche par la foule de scander le nom d’Ali avec une ferveur indescriptible tandis que les deux pugilistes se frayent un chemin jusqu’au ring.

À la surprise générale, Ali est l’agresseur lors du premier round. À plusieurs reprises, il surprend le champion en faisant preuve d’une fabuleuse audace. Lorsque la cloche retentit, la foule rugit et dans le coin d’Ali, on respire un peu mieux.

Mais ils ne payaient rien pour attendre.

Complètement déchaîné, c’est avec fureur que Foreman sort de son coin au début du deuxième round et bondit vers Ali puis se met à le frapper de toutes ses forces. Incapable de répliquer, Ali se réfugie dans une posture défensive particulièrement hermétique et laisse les coups venir. Il s’accote sur les câbles, accepte de souffrir et se met à narguer verbalement Foreman qui ne fait que rehausser la puissance et la fréquence de ses frappes.

 C’est ça, le rope-a-dope d’Ali. Pendant quatre, cinq, six rondes, il se laisse marteler de façon brutale en se laissant un peu choir sur les câbles de sorte que ces derniers absorbent une bonne portion des chocs. Il fait preuve d’une immense résilience et espère ainsi que son opposant finira par manquer d’énergie et faire plus d’erreurs, laissera plus d’ouvertures pour la contre-attaque.

Et c’est ce qui se produit.

Au huitième round, il réussit à pincer son adversaire, épuisé, qui chute au tapis pour la mise hors de combat technique. La foule est en liesse. Contre toute attente, Ali reprend possession de son titre mondial.

Muhammad Ali avait compris que devant un adversaire qui le surpassait autant, la meilleure chose à faire était d’accepter de subir les contrecoups et la douleur, attendre que ça passe et lorsque l’ouverture se présenterait, il lui faudrait alors foncer avec toutes les forces qui lui restait. 

Et ça a donné cet immense succès.

2 réflexions sur “La métaphore du rope-a-dope

    • C’était mon approche face à ma maladie rénale. Chaque hémodialyse, les aiguilles qui te lacèrent la chair, c’était la mitraille de Foreman. Je n’y pouvais rien et j’ai préféré juste accepter le tout, subir en attendant que ça passe. Et maintenant que j’ai reçu ma greffe, je cours, j’écris, j’essaie de vivre intensément. C’est ça, mon succès à moi.

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